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Cadre Spatial Européen

La Conférence Ministérielle des 22-23 Novembre 2022, un évènement majeur pour le
spatial européen, quel cadre, quels enjeux et quelles perspectives ?

21/11/2022, Ingrid CHALAYE

Si vous entendez parler de la « NASA », vous aurez tout de suite la référence notoire du
programme Apollo des premiers hommes sur la Lune, de la Station Spatiale Internationale ou encore des
robots sur Mars.
Toutefois, en France comme dans d’autres Etats, entendre parler de l’ESA 1 , du CNES 2 , du DLR 3 ,
de l’ASI 4 , cela ne nous dit pas grand-chose. Pourtant, tous ces acronymes ont un lien : ce sont des
agences spatiales. Au même titre que la NASA, agence spatiale américaine, ces entités permettent à un
Etat ou à un groupement d’Etats, d’organiser leurs activités spatiales.
Bien avant la constitution de l’Union Européenne (UE), une union d’agences spatiales nationales
a fait émerger une coopération européenne dans le domaine. 5
En 1975, l’Agence Spatiale Européenne (ASE ou ESA en anglais) nait d’une fusion entre deux
institutions européennes. 6 L’ESA, distincte de l’UE, comporte moins d’Etats membres (22) 7 et regroupe
leurs Agences Spatiales nationales. Organisation intergouvernementale, ses décisions font l’objet de
discussions entre les Agences. L’UE et l’ESA, même si différentes, coopèrent toutefois au sein de certains
programmes, comme les satellites Galileo (équivalent européen du célèbre GPS américain).
Nous pouvons donc déjà constater qu’en Europe, le cadre spatial est original puisque,
contrairement à la NASA, qui est l’agence d’un Etat, l’ESA est l’Agence regroupant les Agences Spatiales
de 22 Etats membres et Etats associés ou coopérants. Il est alors possible de pressentir un système de
prise de décision bien plus complexe qu’un simple processus national.
A ce titre, la Conférence Ministérielle de Novembre 2022 (CM22), ayant lieu le 22 et le 23
Novembre, donne un exemple significatif du fonctionnement décisionnel et institutionnel complexe de
l’ESA. Les sessions du Conseil de l’ESA au niveau ministériel (C-M) réunissent les ministres responsables

1 ESA (European Space Agency), Agence Spatiale Européenne
2 CNES (Centre National d’Etudes Spatiales), Agence Spatiale Française
3 DLR (Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique), Agence Spatiale Allemande
4 ASI, Agence Spatiale italienne
5 Arthur Olivier, « La politique spatiale européenne : histoire, objectifs, programmes », Toute l’Europe, 15 Février 2022.
Disponible sous :https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-politique-spatiale-europeenne-histoire-objectifs-
programmes/
6 L’ESA nait de la fusion de l’ELDO (European Launcher Development Organisation, « Organisation de développement d’un
lanceur européen ») créee en 1960 et de l’ESRO (European Space Research Organisation, « Organisation pour la recherche
spatiale européenne ») fondée en 1962. Dans : The European Space Agency, « Deux jours qui décideront du future de l’Europe
Spatiale : présentation des enjeux », Space in Member States, France, 20 Novembre 2012. Disponible sous :
https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Deux_jours_qui_decideront_du_futur_de_l_Europe_spatiale_presentat
ion_des_enjeux
7 France, Allemagne, Italie, Autriche, Belgique, République tchèque, Estonie, Finlande, Roumanie, Suède, Irlande, Hongrie,
Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Danemark, Portugal, Suisse, Espagne et Royaume-Uni

des activités spatiales des 22 Etats membres de l’Agence Spatiale Européenne. 8 Le but de cette réunion
est de décider des projets de l’Agence pour les trois à cinq années à venir, les décisions résultant de la
CM22 sont éminemment stratégiques pour le spatial européen puisqu’en découlent les programmes
spatiaux et les budgets publics associés.
Etant souvent comparée à une « grande vente aux enchères », des programmes y sont
présentés et les Etats décident de ceux dans lesquels ils veulent investir et donc prendre part et pour
quel montant. Un principe fondateur et clé dans le fonctionnement de l’ESA prend tout son sens (dérivé
de la Convention créant l’ESA, 1975), le principe du « juste retour géographique ». Selon ce fondement,
chaque Etat contributeur au budget de l’Agence Spatiale Européenne récupère sous forme de contrats
attribués à son industrie un montant équivalent à sa contribution. Cela signifie que chaque euro qu’une
Agence Spatiale décidera de mettre dans un programme lors de cette Conférence, l’ESA devra lui
garantir que son industrie nationale en bénéficiera à travers des contrats pour la performance dudit
programme.
A ce stade, il est possible d’analyser la complexité de la prise de décision au niveau de la
coopération spatiale européenne. Cette vision intergouvernementale du spatial en Europe est toutefois
en phase d’évolution, c’est pourquoi cette C-M est si importante. En effet, le contexte géopolitique et
économique est bouleversé, entre l’inflation et la guerre en Ukraine, les initiatives nationales se
multiplient, en opposition à la coopération européenne. Le spatial européen, longtemps encadré par
l’ESA, initié par ses programmes, tend à être nationalisé. A titre d’exemple, l’Italie, la France et
l’Allemagne sont tiraillés par la problématique des mini-lanceurs. Lorsque l’un montre sa volonté de
privilégier ses intérêts nationaux sur le sujet, l’autre se sent menacé et un repli national s’effectue
également de son côté.
Dans un domaine aussi stratégique que l’espace, qui peut tout autant devenir un nouveau
territoire pour l’espèce humaine, qu’un lieu de conflits et de revendications, les Etats européens
expriment leur volonté de nationalisation des activités spatiales. A l’aube de ce nouveau paysage
stratégique, cette CM22 pourrait refléter ces velléités à travers les budgets alloués aux différents
programmes spatiaux. 9 Le budget alloué à un programme plutôt qu’à un autre indiquera un intérêt
croissant ou décroissant pour le sujet. 10

L’exemple du transport spatial est parlant pour illustrer cette mutation. Cette année, les
ministres présents peuvent prendre deux chemins décisifs. Soit ils considèrent que les lanceurs spatiaux
sont une composante stratégique de la souveraineté et de l’indépendance européenne, et ils opèrent un
investissement public fort. Soit ils se désintéressent de ces programmes au profit d’une vision plus
privée du transport spatial – les analysant comme des moyens de viabilité économique et commerciale
pour des entreprises du secteur – et ils opèrent un investissement public minimal. Derrière cette prise
de décision, peut vaciller le futur d’entreprises européennes du spatial dont cette composante est le fer

8 The European Space Agency, “Council Meeting at Ministerial Level”, ESA vision. Disponible sous: https://vision.esa.int/cm22/
9 Des programmes spatiaux peuvent être : de l’exploration spatiale, de la navigation, de la science spatiale et observation de la
terre, des constellations de satellites, des lanceurs.
10 Luís Serina, “Space22+: How ESA will put Europe on an upward path in the new space age”, Portuguese Space Agency, 2
Février 2022. Disponible sous: https://ptspace.pt/space22-how-esa-will-put-europe-on-an-upward-path-in-the-new-space-age

de lance ; tout autant que le futur de programmes européens forts et historiques comme le programme
Ariane.

Au centre de tout cela, l’Agence spatiale européenne réitère sa volonté d’être forte et unifiée
pour le futur de ses Etats membres. 11 La Conférence Ministérielle de Novembre 2022 est donc bien
évidemment un évènement majeur pour le spatial européen et permet de mieux comprendre son
fonctionnement original.

11 The European Space Agency, “Council Meeting at Ministerial Level”, Op. Cit.